Vie sauvage au Sri Lanka

Un de mes aspects favoris des voyages, c’est la découverte de la vie sauvage et des paysages naturels propres à chaque pays, chaque région. Et côté nature, le Sri Lanka ne nous laisse pas en reste ! Un bonheur pour des photographes amateurs…

Premier petit coin de paradis, le jardin botanique de Paradeniya, situé à Kandy. Ce magnifique parc de près de 60 ha abrite un nombre impressionnant d’espèces végétales, arbres en tous genres, fleurs multicolores dont beaucoup d’espèces d’orchidées. La promenade peut s’y éterniser des heures durant. On y croise également une faune variée, entre singes, écureuils, oiseaux et insectes en tout genre.

Plusieurs parcs nationaux constituent également des réserves où les animaux y sont facilement observables. Voici un petit échantillons de la faune du parc d’Uda-Walawe, situé au sud du Pays. Les éléphants y sont bien sûr les animaux les plus emblématiques, mais on y trouve aussi de nombreuses espèces d’oiseaux, parmi lesquels des paons, des guêpiers d’orient, ou encore des rapaces comme des pygargue blagres.

Pas besoin toutefois d’être dans un jardin ou dans un parc pour observer des animaux sauvages. Le Sri Lanka reste un pays avec une nature plutôt bien préservée. Une balade en pirogue à travers la mangrove au lever du soleil permet de rencontrer des varans, nageant paisiblement dans l’eau, ainsi que des hérons et autres oiseaux. Les insectes font foison dans la nature à qui veut bien baisser un peu la tête. Les levers de soleil, toujours très ponctuels, sont un régal.

Au bord de l’océan, c’est aussi une faune foisonnante. Au milieu des coquillages vides se baladent des coquilles d’escargots de mer avec quelques pattes qui dépassent : des timides Bernard l’ermite qui y ont élu domicile. Leurs cousins les crabes bravent les vagues depuis les rochers. On aperçoit quelques poissons dans l’eau, mais aussi en dehors de l’eau ! Une particularité de certains blennies, que l’on trouve posé sur les rochers, au calme au bord de l’eau…

Camargue : un éden de biodiversité

Des siècles durant, le Rhône a travaillé la terre. Épaulée par les vents méditerranéens, l’eau a peu à peu creusé, façonné les paysages à l’endroit où le fleuve et la mer se mêlent. Le sel et le soleil sont venus apporter la touche finale à ce delta unique en France, la Camargue.

Le résultat de la rencontre entre ces quatre éléments – l’eau, le vent, le soleil et le sel – ce sont des paysages uniques, typiques à la région. Une végétation adaptée aux rigueurs du climat sur cette terre si plate qu’elle paraît sans limite, et une diversité animale qui l’accompagne à couper le souffle.

La Camargue, c’est un mélange étonnant de grandes étendues d’eau et de vastes terres craquelées. Désert et milieu humide tout à la fois, ce milieu présente quelques subtilités aux espèces qui le peuplent. Dans la sansouire, vaste espace argileux tantôt inondé, tantôt asséché, la végétation a su dompter la force du mistral et la salinité du milieu. Les étangs, forts de leurs dizaines de milliers d’hectares, constituent un indiscutable éden pour la faune aviaire : près de 400 espèces différentes d’oiseaux ont été observés en Camargue, et des espèces aussi emblématiques que les flamants roses y ont élu domicile. Les autres groupes d’animaux ne sont pas en reste : une dizaine d’espèces d’amphibiens, une quinzaine de reptiles, plus de 40 mammifères, mais surtout des milliers d’invertébrés. La Camargue, c’est le paradis des moustiques et des libellules. C’est aussi le paradis des photographes, et un sacré casse-tête pour les naturalistes en herbe qui essaient de déterminer les espèces qu’ils ont pu observer ! Si vous n’êtes toujours pas démangés par un désir d’aller fouler ces vastes contrés, voici un petit aperçu de ce que vous pourrez y observer, sans devoir vous mettre à quatre pattes ou vous armer de matériel de camouflage, juste en vous baladant, les yeux grands ouverts, prêts à être émerveillés.

Dans la famille des odonates, je voudrais…

Plus de 40 espèces différentes d’odonates ont été observées en Camargue. Les plus fines et délicates sont les demoiselles (ou zygoptères en jargon scientifique). Elles ont généralement les ailes repliées lorsqu’elles sont posées, contrairement à leurs cousines les libellules (ou anisoptères) qui adoptent, elles, plutôt une allure de petit hélicoptère. Les espèces photographiées ci-dessous sont parmi les plus communes de Camargue. Peu farouches, il est très facile de les observer plantées telles de petits drapeaux au sommet de la végétation. En haut de cet article, il s’agit de la photo d’un Agrion élégant (Ischnura elegans)

Libellule écarlate mâle (Crocothemis erythraea)
Libellule écarlate femelle (Crocothemis erythraea)
Libellule écarlate femelle (Crocothemis erythraea)
Orthétrum réticulé femelle (Orthetrum cancellatum)
Orthétrum réticulé mâle (Orthetrum cancellatum)

En jaune et noir

Dans l’immense ordre des hyménoptères, qui regroupe guêpes, abeilles, bourdons et fourmis, il est souvent très difficile de différencier les espèces. Surtout que certains insectes d’ordres différents viennent parfois essayer de se faire passer pour des hyménoptères, à l’image de l’éristale. Cet insecte rayé jaune et noir aux allures de bourdon fait en fait partie d’un groupe de diptères bien particulier, les syrphes. Des mouches, donc ! La stratégie des quelques milliers d’espèces qui composent le groupe des syrphes est souvent de se faire passer pour des insectes plus agressifs et dangereux qu’ils ne le sont vraiment. En s’habillant tel une guêpe, ils dissuadent les prédateurs de les manger, quand bien même ils sont complètement inoffensifs.

Éristale gluante (Eristalis tenax)
Guêpe (hyménoptère)
Guêpe (hyménoptère)

Une délicate touche de bleu

Bien qu’il soit très courant sur les bords des chemins, l’argus bleu sait garder pour lui cet éclat azur si particulier de ses ailes. D’abord, seuls les mâles sont dotés de cette chatoyante couleur, tandis que les femelles arborent des ailes ocres ponctuées de tâches orange. Mais surtout, l’argus replie ses ailes dès qu’il est posé, nous montrant par ailleurs des motifs qui valent bien le coup d’œil. Seuls les papillons en vol offriront un petit clin d’œil bleuté à l’observateur.

Argus bleu, ou Azuré de la Bugrane (Polyommatus icarus)
Argus bleu, ou Azuré de la Bugrane (Polyommatus icarus)

Des cabrioles à chaque pas

Pour observer les criquets, il faut avoir l’œil… ou les déranger ! Car ces insectes sont des maîtres en matière de camouflage. Voyez plutôt l’éclat vert de cette espèce qui se pose sur une feuille de la même couleur, ou encore l’apparence tout à fait similaire à la terre séchée de cette autre espèce observée au sol ! Déterminer les espèces de criquet est une science subtile : les individus passent par plusieurs stades larvaires au cours de leur vie – on parle de nymphes – stades qui ne sont ni tout à fait différents, ni tout à fait identiques aux adultes !

Nymphe de criquet égyptien (Anacridium aegyptium)
Criquet de la sous-famille des Oedipodinae
Criquet (orthoptère)
Criquet (orthoptère)
Criquet (orthoptère)

D’autres insectes en pagaille

Bien sûr, des dizaines d’autres espèces qui n’appartiennent pas aux groupes cités ci-dessus sont également observables en Camargue. Parfois, le contraste entre la couleur de leur corps et celle de leur environnement est si saisissant que l’observateur n’a aucun mal à les repérer, à l’instar de ces punaises qui avaient l’air bien occupées. D’autre fois, on se demande si on a bien affaire à une bestiole et pas une simple excroissance de la végétation !

Couple de graphosomes d’Italie, ou punaises arlequin (Graphosoma italicum)
Ce drôle d’insecte appartient aux hémiptères (Cicadomorpha ou Fulgoromorpha)

Plus de pattes

Les insectes ne sont pas les seules petites bêtes que l’on trouve en Camargue. Quoique classifier de « petites bêtes » les deux espèces représentées ci-dessous n’est peut-être pas l’adjectif le plus approprié. Le corps des argiopes lobées femelles peut dépasser deux cm. Plantées au milieu de toiles qui peuvent atteindre 1,5 m de diamètre, il est heureusement difficile de les louper ! D’autant qu’elles s’entendent plutôt bien entre voisines : celles que j’ai photographiées faisaient partie d’un grand quartier de toiles, des dizaines d’individus bien alignés entre chaque buisson. Les toiles sont particulièrement solides, et heureusement ! Car le vent a vite fait des les faire bouger de plusieurs dizaines de centimètres. Attention donc à ne pas approcher l’appareil trop près lorsque vous les prenez en photo !

Argiope lobée (Argiope lobata)
Argiope lobée (Argiope lobata)

Avec un peu plus de pattes, je vous présente la scutigère ! Peut-être plus effrayante que les araignées, cette espèce s’observe en général la nuit et… à l’intérieur des maisons ! Celle-ci était dans ma chambre… Fortes de leurs quinzaines de paires de pattes à l’âge adulte, ces prédatrices courent à une vitesse impressionnante (d’où leur nom « véloce »), et attaquent leurs proies à grand renfort de venin.

Scutigère véloce (Scutigera coleoptrata)

Quelques vertébrés…

J’avoue, j’ai fait la part belle aux petites bêtes. Les vertébrés ne sont pourtant pas en reste. Chauve-souris, lézards, grenouilles, geckos, rongeurs, serpents, renards, sangliers, tortues… Il y en a du monde ! Sans oublier les grandes stars, ces animaux sans qui la Camargue ne serait pas la Camargue : taureaux et chevaux typiques de la région, et surtout des oiseaux par milliers ! Des plus discrets aux plus chatoyants, de toutes les couleurs et de toutes les formes, de passage ou résidents permanents, ce sont près de 400 espèces d’oiseaux, par dizaines de milliers, qui peuplent ces terres accueillantes. Mes préférés ? De drôles d’oiseaux roses perchés sur des pattes immenses, avec un bec tout tordu… Les flamants roses bien sûr !

Lézard des murailles (Podarcis muralis)
Cheval camarguais accompagné d’un héron garde-bœufs (Bubulcus ibis)
Rainette verte (Hyla arborea)

Les lions : infos insolites

Les lions font partie des animaux chouchous du public, et le nombre de documentaires à leur sujet en dit long. Souvent attendrissantes, parfois étonnantes, les images nous montrent la plupart du temps la vie d’une jolie petite troupe, entre naissances, parties de chasse trépidantes et batailles entre mâles dans la force de l’âge… Côté scientifique, les lions ne sont pas en reste non plus et ont fait l’objet d’un grand nombre de publications, dévoilant souvent d’autres vérités moins connues… et pourtant tout aussi intéressantes ! Voici un petit échantillon pour vous le prouver !

Les lions mangeurs d’hommes font parler les scientifiques

Si deux lions peuvent se targuer d’une sinistre célébrité, ce sont bien eux. « Le fantôme » et « les ténèbres », comme ils ont été surnommés, sont les héros des films « The Ghost and the Darkness » (1996), et « Bwana Devil » (1952), qui est tout de même le premier long métrage sorti en 3D couleur de l’histoire du cinéma. Ces films racontent l’histoire vraie de deux fauves qui ont créé la panique en 1898 lors de la construction d’une voix ferroviaire, en dévorant entre 30 et 130 travailleurs, selon les sources. Abattus par John Henry Patterson, qui a d’ailleurs écrit le livre « The Man-Eaters of Tsavo » (Les mangeurs d’hommes du Tsavo) ayant inspiré les films, les deux cadavres ont été conservés et l’occasion était trop belle pour les scientifiques de manquer de les étudier !

Plusieurs questions se posent : Les deux lions mangeaient-ils tous les deux les humains ? Etait-ce leur seule source de nourriture ? Combien de travailleurs avaient réellement été tués ? Des questions un peu farfelues étant donné que les lions sont décédés il y a plus d’un siècle… Si des macchabées pouvaient sortir de leur sommeil éternel pour nous raconter leurs derniers meurtres, ça se saurait ! Non ? Et pourtant… Les atomes qui forment le corps de nos lascars proviennent de leur nourriture. Or, en étudiant la composition en isotopes des différentes parties de leur corps, on peut déterminer à quelle espèce ces atomes ont été prélevés. En somme, vous êtes ce que vous mangez ! Et comme les différentes parties du corps ne se construisent pas toutes en même temps, la composition de nos dents et os permet de déterminer des régimes de longue durée, tandis que celle de nos poils renseigne de nos derniers repas. L’équipe de Yeakel (2009) a ainsi pu mette en évidence que les lions avaient un régime alimentaire classique avant de tourner mangeurs d’hommes, et qu’un des deux était deux fois plus avide de chair humaine que l’autre. Quand aux estimations, 35 hommes auraient été mangés, avec une marge (l’intervalle de confiance à 95% pour ceux à qui ça parle) allant de 4 à 72 victimes.

Les deux lions mangeurs d’hommes du Tsavo, de leurs petits noms « lion FMNH 23970 » (A) et « lion FMNH 23969 » (C). Le crâne du premier (B) présente, entre beaucoup d’autres défauts cités par les auteurs, une fracture de la canine inférieure droite et des incisives inférieures en moins. L’autre crâne (D) révèle une fracture de la carnassière supérieure qui provoque une exposition de la pulpe. Illustration issue de Yeakel et al. (2009).


D’autres articles scientifiques existent sur les lions mangeurs d’hommes. Certains font preuve d’un délicieux lyrisme quand il s’agit de décrire les sordides attaques des assassins. Baldus (2006) écrit ainsi à propos d’un lion ayant tué plus d’une trentaine de personnes en Tanzanie : « Parfois, il tuait deux personnes à l’intérieur d’une hutte, mais laissait toujours la seconde derrière, dans un cas sur le toit. […] L’animal a été signalé comme étant extrêmement prudent. Il se serait toujours déplacé à couvert, le plus souvent durant des nuits obscures et sans lune. […] Si le lion avait le temps, il faisait glisser sa victime plus loin pour dévorer le cadavre, y compris les intestins, mais en laissant la tête, les bras et les jambes » (traduction personnelle).

Certains chercheurs essayent de comprendre « pourquoi » les lions se mettent à manger des hommes. Toutes les pauvres bêtes des études que je viens de citer présentaient ainsi des problèmes dentaires (voir photo précédente)… Packer et al. (2005) propose plus simplement l’effet de l’augmentation de la densité humaine pour expliquer le nombre grandissant d’attaques depuis les années 1990, et nous présente une carte représentant la distribution de plus de 800 attaques depuis cette année là en Tanzanie… Eventuellement une idée des points chauds à éviter durant le prochain voyage touristique !

Répartition des attaques de lions en Tanzanie depuis 1990 et nombre d’attaques par année. D’après la publication de Packer et al. (2005)

Des spermatozoïdes anormaux dans le Ngorongoro

En Tanzanie, le cratère du Ngorongoro se targue d’être une des plus grandes caldeiras du monde (un ancien volcan affaissé pour faire simple), avec un diamètre de plus de 20 Km ! Pour l’avoir foulé de mes propres pieds, je peux affirmer qu’il constitue sans conteste une réserve naturelle absolument magnifique, regorgeant d’une richesse faunistique éblouissante. En tant que cratère, l’écosystème qu’il abrite reste très fermé au milieu extérieur, ce qui constitue à la fois sa force et sa faiblesse. Les lions du Ngorongoro sont très bien étudiés depuis de nombreuses années, à tel point qu’il n’est pas un lion dans le cratère qui n’ait pas sa fiche d’identité. Les chercheurs sont en effet capables d’identifier chaque individu, notamment grâce à des marques naturelles et les cicatrices de leurs faces et oreilles (Munson et al. 1996). Il faut dire que la particularité de l’endroit permet une étude inédite sur les effets de la consanguinité. En effet, les lions qui entrent dans le cratère sont bien rares, et n’ont simplement aucune chance de trouver un territoire libre, le cratère présentant la plus haute densité de lions d’Afrique (Heinsohn 1997). De plus, la population a subit en 1962 une hécatombe après l’invasion de la mouche Stomoxys calcitrans, aux morsures particulièrement affaiblissantes, réduisant la population à neuf femelles et un seul mâle (Packer et al. 1991).

Après la migration de sept mâles venus de l’extérieur, plus aucune entrée n’a été enregistrée dans le cratère durant les 25 années suivantes, alors que la population est rapidement remontée en effectifs. Des simulations sur ordinateurs suggèrent même que la population pourrait avoir subit un autre goulot d’étranglement antérieur à 1962 (Packer et al. 1991). Une population en somme bien consanguine ! Et comme souvent, la consanguinité s’accompagne d’une perte de variabilité génétique et d’une augmentation d’anormalités physiologiques comparé à d’autres populations. Nos lions n’échappent pas à la règle, notamment dans certains traits affectant leur reproduction. Ils présentent ainsi une concentration en testostérone trois fois plus faible que leurs homologues du Serengeti (Wildt et al. 1987), une histo-morphologie des testicules affectée : moins de tubes séminifères (là où se forment les spermatozoïdes), moins de spermatides (les futurs spermatozoïdes) et moins de volume testiculaire (Munson et al. 1996), ainsi qu’un haut niveau d’anormalité des spermatozoïdes (Wildt et al. 1987). Entre tête trop grosse ou trop petite, double flagelle ou double tête et diverses déformations, ce sont au total 50% des spermatozoïdes qui sont affectés !

Quelques spermatozoïdes des lions du cratère du Ngorongoro : normal (a), surenroulement du flagelle (b), manque de mitochondrie (c), acrosome anormal et mauvaise disposition de la pièce intermédiaire (d), macrocéphalie avec acrosome anormal (e), microcéphalie avec manque de mitochondrie (f), flagelle tordu (g), et cou tordu avec résidu cytoplasmique (h). Photo issue de Wild et al. (1987).

Des lionnes à crinière et des mâles qui en sont dépourvus

La crinière du lion, cette magnifique couronne qui le proclame roi des savanes, est un des caractères sexuels secondaires des plus évidents pour différencier mâles et femelles. D’une longueur et d’une noirceur variables, elle renseigne même les congénères (et les scientifiques) sur d’autres paramètres. West et Packer (2002) ont ainsi pu montrer que le niveau de noirceur de la crinière donne une indication de l’état de nutrition du mâle, ainsi que de son niveau en testostérone, ce qui aurait une influence à la fois sur le choix des femelles (dans une troupe comptant plusieurs mâles, les femelles qui ont la possibilité de choisir leur amant se tourneront vers celui qui a la crinière la plus sombre), mais également sur la compétition entre mâles (mieux vaut éviter de se battre avec les mâles à crinière trop noire…). Les deux scientifiques ont également mis en évidence que la longueur de la crinière était un signal des succès au combat du mâle, et influencerait également la compétition entre mâles.

En plus de ce rôle communicatif, la crinière est également variable selon les saisons, les années et les habitats. Si la crinière est ainsi variable selon l’endroit, nulle particularité n’égale celle observée dans le parc du Tsavo. Tiens, ça ne vous dit rien ce nom ? Mais si, c’est de là que provenaient nos deux lascars mangeurs d’hommes ! Ce n’est pas pour rien si j’ai pris la peine d’afficher leur photo… Et si nos deux compères s’affichent sans crinière, ce n’est certainement pas parce qu’ils ont été scalpés. Comme de très nombreux lions du Tsavo, ils sont simplement dépourvus de crinière. Kays et Patterson (2002) ont voulu vérifier à quel point ce caractère était répandu. Ils se sont donc mis à attirer les lions grâce à des enregistrements d’un jeune buffle mourant. La technique pourrait paraitre un brin sadique mais elle est communément utilisée. Elle s’avère même être efficace pour réaliser des comptages de lions (Kiffner et al. 2007). Kays et Patterson ont ensuite donné un score à tous les lions qui se sont approchés, selon la disposition et l’importance de leur crinière. Résultat : aucun des 87 lions identifiés n’avait une crinière à proprement parler, et le score moyen atteignait 15, une crinière normale ayant pour valeur 81 (voir schéma ci-dessous)…

Une crinière normale et une crinière typique du Tsavo. Chaque légende correspond à une zone à laquelle les auteurs ont attribué des scores de 0 à 3 selon la longueur, la couleur et l’épaisseur de la crinière. Le score maximal (9 zones obtenant 3 scores de 3) est égal à 81. En moyenne, les lions du Tsavo obtiennent un score de 15. Image et données de Kays et Patterson (2002).
Photos de lions du Tsavo à crinière éparse ou inexistante (Kays et Patterson, 2002)


Les chercheurs essaient bien de donner des explications à cet étrange phénomène : l’importance de la végétation ou la chaleur pourraient donner l’avantage à des mâles dépourvus de crinières, si tant est que ce caractère (ou absence de caractère) ait évolué pour ses bénéfices et non par hasard. La présence d’une graine particulièrement collante à la crinière (Pupalia lappacea) pourrait également intervenir, les lions s’arrachant littéralement les poils en voulant les enlever… A noter que d’autres lions sans crinière existent, même s’ils sont nés avec : une perte intégrale de la crinière a par exemple déjà été observée des suites d’une castration.

Pour en finir avec la crinière, des photos et articles circulent actuellement sur le net faisant état de femelles avec une belle crinière. Si je n’ai pu trouver aucun article scientifique à ce sujet, l’info ne semble pas inventée. A vérifier donc ! En attendant, certaines photos restent assez convaincantes. Décidemment, même chez les lions c’est la révolution des genres !

Une lionne pourvue d’une crinière qui n’a rien à envier aux plus beaux mâles (Source)

Mœurs et morphologies inhabituels

A l’image des crinières, beaucoup de ce qu’on croit connaitre sur les lions n’est pas vrai pour tous les lions. De nombreuses variations comportementales, morphologiques, anatomiques ou encore physiologiques existent à l’état sauvage comme en captivité. Commençons par la captivité. Saviez-vous qu’un lion élevé dans un zoo aura un cerveau plus petit qu’à l’état sauvage ? Une diminution comprise entre 3,5 et 10,5 % du volume crânien selon l’équipe de Yamaguchi (2006) qui s’est chargée de mesurer consciencieusement les crânes de 370 lions. Une différence qui serait bien due à la captivité en elle-même, et non aux conséquences de la consanguinité qu’elle implique souvent, puisqu’un lion né à l’état sauvage et élevé dans un zoo présentera également un cerveau plus petit.

La consanguinité a pourtant bel et bien, elle aussi, des effets délétères. Prenez les lions blancs par exemple. Ces lions présentent un allèle mutant récessif qui leur confère une couleur allant du blond au blanc (il ne s’agit pas d’albinisme). Les adultes de ce type sont rares à l’état sauvage, d’autant plus qu’ils sont plus repérables par les proies et par les prédateurs lorsqu’ils sont lionceaux… Mais les humains sont avides de rareté (voyez ici), et on trouve des lions blancs à foison en captivité. Ce désir a un prix, et il est rude pour les lions. Dans un seul zoo par exemple ou des parents blancs ont donné naissance à 19 lionceaux, un seul a survécu jusqu’à l’âge adulte ! Parmi les autres, 4 sont mort-nés, 13 sont morts durant leur premier mois et le dernier a du être euthanasié à cause de son incapacité à saisir la nourriture. Une publication parue dans un journal vétérinaire (Scaglione et al. 2010) présente toutes leurs malformations à grand renfort de photos plutôt morbides… Entre troubles du comportement et multiples malformations au niveau du crâne, les effets de la consanguinité se font ressentir plus que jamais.

Le crâne d’un des lionceaux blancs présente ici une mâchoire atrophiée avec un biais d’alignement entre la mandibule (mâchoire inférieure) et l’incisive supérieure. Photo issue de Scaglione et al. (2010)


Toujours en captivité mais de manière un peu plus réjouissante, les lions du zoo d’Addis-Abeba (Ethiopie) présentent une apparence unique en son genre. A tel point qu’ils ressemblent aux lions de Barbarie ou aux lions du Cap, des sous-espèces qui ne sont aujourd’hui plus reconnues. Si Tefera (2003) avait consacré une publication à leur pure description (crinière très sombre et étendue, petit corps…), une étude très récente vient de mettre en évidence que cette population est distincte également du point de vue génétique (Bruche el al. 2012).

Un des fameux lions du zoo d’Addis-Abeba, en Ethiopie (Source)


A l’état sauvage, des variations de comportements sont observées entre les populations. Par exemple, les lionnes du Ngorongoro sont plus agressives que celles du Serengeti. L’étude de Heinsohn (1997) consistait à passer des enregistrements de rugissements de troupes de lionnes. Il a pu montrer qu’une troupe était capable de compter ses opposantes au son des rugissements, et qu’elle ne s’en approcherait qu’à condition que les rivales soient moins nombreuses. Sauf les lionnes du cratère du Ngorongoro qui réagissent à tous les coups, même lorsque leurs chances de vaincre l’adversaire sont faibles compte tenu de leur nombre. Cette agressivité pourrait s’expliquer par la difficulté de trouver un territoire dans le cratère : les lionnes qui en ont un le défendent alors coute que coute !

En ce qui concerne les variations d’apparence, j’ai évoqué les plus spectaculaires plus haut : crinières et blanc pelage ! Mais d’autres différences existent. Les lions du Ngorongoro sont par exemple plus gros qu’à l’extérieur du cratère (Heinsohn 1997). Dans la même catégorie, vous avez peut être croisé ces derniers temps sur le net les magnifique photos de lions noirs ! On parle de mélanisme, ce qui correspond à une très forte abondance de pigments noirs. Hé bien jusqu’à preuve du contraire, ces lions ne sont que pure invention ! Si vous en doutez, vous trouverez ici les célèbres photos avec leurs originales non retouchées. Mais maintenant que vous avez lu cet article, vous conviendrez sans doute qu’il n’est nul besoin d’invoquer des génies de Photoshop pour impressionner les foules : les lions disposent naturellement de leur florilège de particularités !

Un lion mélanique, qui n’existe que dans l’imagination de ses créateurs ! (Source)

Cet article a été originellement écrit pour un blog de vulgarisation scientifique. Vous pouvez le retrouver à l’adresse suivante : http://fish-dont-exist.blogspot.com/2013/01/les-lions-ce-que-vous-napprendrez-pas.html

Bibliographie

  • Baldus, R. D. 2006. A man-eating lion (Panthera leo) from Tanzania with a toothache. European Journal of Wildlife Research, 52, 59–62.
  • Bruche, S., Gusset, M., Lippold, S., Barnett, R., Eulenberger, K., Junhold, J., Driscoll, C. A. & Hofreiter, M. 2012. A genetically distinct lion (Panthera leo) population from Ethiopia. European Journal of Wildlife Research. DOI 10.1007/s10344-012-0668-5.
  • Heinsohn, R. 1997. Group territoriality in two populations of African lions. Animal behaviour, 53, 1143–7.
  • Kays, R. W. & Patterson, B. D. 2002. Mane variation in African lions and its social correlates. Canadian Journal of Zoology, 478, 471–478.
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  • Munson, L., Brown, J.L., Bush, M., Packer, C., Janssen, D., Reiziss, S.M. & Wildt, D.E. 1996. Genetic diversity affects testicular morphology in free-ranging lions (Panthera leo) of the Serengeti Plains and Ngorongoro Crater. Journal of Reproduction and Fertility, 108, 11-15.
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  • Yeakel, J. D., Patterson, B. D., Fox-Dobbs, K., Okumura, M. M., Cerling, T. E., Moore, J. W., Koch, P. L., & Dominy, N. J. 2009. Cooperation and individuality among man-eating lions. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 106, 19040–3.